Avez vous déjà mis “les pieds à l’étrier” ?
Certain·e·s oui, d’autres jamais, il est en tout cas difficile d’être passé totalement à côté du concept de violences gynécologiques et obstétricales.
Faisant grand bruit dans l’actualité, avec des affaires sinistres de gynéco violeurs en série, ou encore les accusations de viol et violences gynécologiques contre la secrétaire d’État et gynécologue Chrysoula Zacharopoulou, le sujet suscite réactions et divisions.
Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il s’agit d’un sujet DÉLICAT. Délicat pour les personnes qui en sont victimes, qui après avoir vécu ces violences ont souvent du mal à en parler, ressentant un sentiment de honte et de culpabilité, prises dans le tabou d’un sujet qui touche à leur intimité.
Mais délicat aussi pour le milieu médical que ce sujet divise, remet en cause, et qui peine parfois à se positionner, entre éthique, conflit de loyauté, culpabilité et confraternité.
J’illustrerai cet article de témoignages de patientes, afin de montrer la diversité des formes que peuvent prendre les violences gynécologiques, et donner la parole aux femmes qui les ont subies. Je tiens à préciser que si ces témoignages sont anonymes (les prénoms ont été changés), ils viennent néanmoins de personnes que je connais personnellement et dont j’ai recueilli moi même les propos, et non de témoignages trouvés sur internet qui pourraient laisser penser à des exceptions. Car oui, malheureusement, il suffit de demander autour de soi pour trouver des exemples – nombreux – de ces violences.
Forgé d’abord en Amérique du sud dans les années 2000, le concept de “violences obstétricales” apparaît en France en 2013 via le blog de Marie-Hélène Lahaye, juriste belge, intitulé Marie accouche là. Elle initie un mouvement de libération de la parole des femmes qui prend rapidement de l’ampleur. Très vite, sur les réseaux sociaux, le concept de « violences obstétricales » se façonne.
En 2014, une étudiante en pharmacie lance un appel à témoignage via le hashtag #payetonutérus. En quelques heures, des milliers de témoignages sont postés : jugements sur la sexualité, sur le physique, sur le choix de faire des enfants ou non, examens vaginaux brutaux, douloureux, inutiles et/ou pratiqués sans consentements, mépris de l’accès à l’IVG, violences sexuelles, culpabilisations après une fausse couche, accouchements traumatiques…
En 2015, une tribune lance un nouveau pavé dans la mare. Elle s’intitule “le consentement, point aveugle de la formation des médecins” et dénonce une pratique que le grand public découvre : les touchers vaginaux sur des patientes endormies, sans leur consentement. Certains médecins déclarent alors que ces pratiques n’existent pas, le président du collège national des gynécologues et obstétriciens français déclare quant à lui que demander l’accord de la patiente avant un tel acte serait de la pudibonderie.
En 2018 le Haut conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes publie un rapport qui donne la voix aux femmes à travers des témoignages, et souligne le lien entre sexisme et violences durant le suivi gynécologique et obstétrical. Il définit les violences gynécologiques et obstétricales de la manière suivante :
[…] les « actes sexistes les plus graves qui peuvent se produire dans le cadre du suivi gynécologique et obstétrical des femmes. Les actes sexistes durant le suivi gynécologique et obstétrical sont des gestes, propos, pratiques et comportements exercés ou omis par un·e ou plusieurs membres du personnel soignant sur une patiente au cours du suivi gynécologique et obstétrical et qui s’inscrivent dans l’histoire de la médecine gynécologique et obstétricale, traversée par la volonté de contrôler le corps des femmes (sexualité et capacité à enfanter). Ils sont le fait de soignant.e.s – de toute spécialité – femmes et hommes, qui n’ont pas forcément l’intention d’être maltraitant.e.s. Ils peuvent prendre des formes très diverses, des plus anodines en apparence aux plus graves » [10, p. 3].
Aujourd’hui c’est la secrétaire d’État et gynécologue Chrysoula Zacharopoulou qui est accusée de viol et violences, alors que le collège des gynécologues et obstétriciens alerte sur l’utilisation du mot “viol” qu’ils réfutent. A ce jour le débat fait donc rage entre sémantique, éthique et juridique.
Dans tous les cas, ces nombreux témoignages permettent d’éclaircir une chose : les maltraitances qui touchent à la santé gynécologique des femmes sont d’une ampleur bien trop large pour être des cas isolés. Elles sont si répandues et banalisées qu’on prend conscience qu’il ne s’agit pas de quelques mauvais médecins ou de “dérapages” mais d’un système à combattre. Attention, je ne dis pas ici que tous les praticiens et praticiennes sont violent·e·s, (heureusement), cela signifie juste que les pratiques relèvent d’un système violent.
On divise généralement ces violences en maltraitances gynécologiques (consultation, accès à la contraception, etc.) et violences obstétricales (liées à la grossesse et à l’accouchement).
Le haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes identifie quant à lui 6 types d’actes sexistes durant le suivi gynécologique et obstétrical, que j’ai choisi de regrouper en 5 catégories.
La non prise en compte de la gêne de la patiente, liée au caractère intime de la consultation
Soyons honnête, il n’est pas toujours simple de se mettre nue les jambes écartées en position gynécologique, devant un ou une inconnue. Si la nudité est nécessaire, il n’est pas nécessaire de la prolonger plus que de raison et il est possible par exemple de garder le haut, proposer un drap, ou encore la position sur le côté qui permet de faire tous les actes courants, mais qui peine à se démocratiser en France malgré plusieurs thèses sur le sujet.
Mon amie Lison m’a confiée que lors de sa première consultation, jeune fille, elle était très stressée et gênée à l’idée de l’examen gynécologique. Devant sa gêne, la gynéco lui a dit brutalement “pourquoi vous n’êtes pas venue avant, qu’est ce qui vous stresse comme ça ? Vous avez vécu des abus, vous avez été violée ?”
C’est aussi mon amie Léa qui n’avait pas bien vécu le fait qu’une fois installée nue, les pieds dans les étriers, pour une pose de stérilet, le médecin l’avait laissé 15 minutes dans cette position, le temps de finir sa paperasse et de préparer le matériel, son intimité exposée pour rien.
Et Hélène, qui, alors qu’elle était dans la même position, a eu la stupeur d’entendre frapper à la porte et de voir le médecin se lever et faire entrer un inconnu dans la pièce, et discuter ensemble, face à ses jambes écartées.
Moi même, on m’a déjà demandé de me mettre complètement nue pour l’examen. Étant mal à l’aise, lorsque l’examen “du bas” a été fini, j’ai demandé si je pouvais remettre ma culotte pour la palpation des seins. La gynéco a refusé, et j’ai dû rester nue, les pieds dans les étriers, pendant qu’elle me palpait les seins.
L’intimité réside également dans les sujets abordés (sexualité, vie de couple, désir d’enfants), et nécessite une attention particulière et bienveillante, qui malheureusement n’est pas toujours au rendez vous.
Les propos porteurs de jugements sur la sexualité, la tenue, le poids, la volonté ou non d’avoir un enfant, renvoyant à des injonctions sexistes. Les insultes sexistes.
Si l’on veut minimiser, on parlera souvent de “paroles déplacées”. Mais ces propos qui peuvent être homophobes, grossophobes, ou de toute autre nature constituent une forme de violence psychologique gratuite aux conséquences non négligeables.
On a dit à Anne-Laure qu’elle allait vouloir des enfants dans quelques années et qu’il ne fallait pas qu’elle traîne, alors qu’elle n’avait que 30 ans et n’avait exprimé aucun désir d’enfant.
On a culpabilisé Lea lors de son IVG d’avoir mal géré sa contraception, jusqu’à l’en faire pleurer. On a dit à Paula qu’on allait lui mettre un stérilet puisque “si elle en était là, c’est que visiblement elle n’était pas capable de prendre correctement sa pilule”.
On a répété à Hélène, qui était enceinte, qu’elle était vraiment mince. Vraiment mince. Mais bon, lui a-t-on dit, même les femmes dans les camps de concentration faisaient des enfants.
“Même les femmes dans les camps de concentration faisaient des enfants !“
Un gynécologue, à une femme qu’il estimait “trop mince”.
Paula, elle, était “trop grosse” :
On m’a dit, un jour que je disais à un médecin que je n’étais pas sûre de vouloir des enfants, que la grossesse est la condition naturelle de la femme.
“Quoi ? vous ne voulez pas d’enfant ? Mais la grossesse est la condition naturelle de la femme !“
Un rhumatologue, s’adressant à moi.
Il est écrit dans le rapport et dans les livres traitant du sujet (voir sources) que les femmes homosexuelles subissent souvent des refus de soins, et sont sous examinées sous prétexte qu’elles n’ont pas de contraception, ou pas de rapport avec des hommes. La conséquence ? un taux d’infection sexuellement transmissible plus élevé que chez les femmes hétéro.
De manière plus générale, ces propos jugeants, qui peuvent aller jusqu’aux injures sexistes (chochotte, hystérique, marie-couche-toi-là), ont des conséquences sur la santé des femmes, augmentant le risque de ne pas retourner en consultation.
Actes (interventions médicales, prescriptions, examens…) exercés sans recueillir le consentement ou sans respecter le choix ou la parole de la patiente
L’introduction d’un spéculum ou d’une sonde d’échographie vaginale, la réalisation d’un toucher vaginal ou une palpation des seins doivent être annoncées, et le consentement doit être recueilli par le praticien qui réalise ces gestes. Ce n’est ni compliqué, ni chronophage.
“Madame, aujourd’hui j’aurais besoin de vous examiner. Si vous êtes d’accord, je vous demanderai d’enlever le bas, de vous installer ici, puis je vous introduirai un speculum afin de faire un frottis. Il s’agit d’aller recueillir quelques cellules au niveau du col de l’utérus avec un coton tige. Cela dure quelques secondes mais ça peut être un peu désagréable. C’est ok pour vous ? “
“Afin de mieux distinguer vos follicules, j’aurais besoin de passer par voie vaginale pour l’échographie, ça se fait avec ce machin là, sur lequel je mettrai un préservatif et du lubrifiant et je vais l’introduire dans votre vagin. Normalement ça ne fait pas mal mais à tout moment vous pouvez demander à arrêter si besoin. Est ce que c’est ok pour vous ?”
Parce que je vous assure, et là je parle à nouveau de mon expérience personnelle, que se faire pénétrer sans être prévenue par une grosse sonde d’échographie, c’est très violent.
Le respect du choix de la patiente : pour la contraception par exemple, ce choix lui appartient après qu’on lui a expliqué toutes les possibilités, avec leurs avantages et leurs inconvénients.
La parole de la patiente doit être respectée, notamment en ce qui concerne les douleurs. Les douleurs de l’endométriose sont souvent niées, minimisées.
Je pense aussi à cette amie, Gaïa, qui était venue consulter car elle avait des saignements, et qui de plus, se sentait enceinte. Comme elle avait un stérilet au cuivre, la gynéco ne l’a pas crue, et n’a pas voulu lui prescrire de prise de sang ou faire une échographie. 15 jours de saignements après, c’est en urgence extrême qu’elle a du se rendre au bloc se faire opérer de sa grossesse extra utérine, et qu’elle y a laissé une trompe au passage. Parce qu’on ne l’avait pas écoutée.
Actes ou refus d’actes non justifiés médicalement
Il s’agit d’actes se faisant en dépit de recommandations contraires de la Haute Autorité de Santé (HAS) ou de l’OMS.
Savez-vous qu’il n’est pas recommandé de faire des frottis avant l’âge de 25 ans si la jeune fille est en bonne santé ? moi je ne le savais pas.
Ces actes non justifiés peuvent aussi être les épisiotomies dont les taux varient de manière importante selon les maternités, mais aussi selon les pays. La communauté internationale s’accorde à dire que l’épisiotomie doit rester un geste rare, pratiqué seulement dans certains cas très précis (de nombreuses études ont permis d’en préciser la nature) et non un geste systématique pratiqué à la convenance du praticien.
Dans sa BD “Ma copine Cécile” Emma aborde le thème des violences obstétricales et des épisiotomies, et leurs conséquences :
Le point du mari est une pratique terrible, non justifié médicalement, qui consiste à faire des points supplémentaires lorsqu’on recoud après une épisiotomie pour resserrer le vagin afin d’augmenter le plaisir du mari. Il se font sans le consentement de la patiente et peuvent rendre les rapports sexuels très douloureux pour les femmes.
Autres violences : les expressions abdominales (le fait d’appuyer violemment sur le ventre au cours de l’accouchement) pourtant proscrits par l’HAS. Des déclenchements pour que le gynéco ne soit pas dérangé pendant le week end. Des refus de stérilisation volontaire pour les femmes nullipares…
Les violences sexuelles : harcèlement, agression, viol
Des questions intrusives sur la vie sexuelle sans lien avec la consultation, au viol pendant la consultation, ce sont des violences graves et condamnables.
Mon amie Elise m’a ainsi rapporté les pratiques de son médecin de famille, qu’elle connaissait depuis qu’elle était enfant : Lorsque sa poitrine a commencé à pousser à l’adolescence, il s’est mis à lui palper longuement les seins à chaque consultation. Elle a mis du temps à comprendre bien sûr qu’il n’était pas normal de se faire palper les seins tous les deux mois, comment pouvait-elle le savoir et imaginer que cette personne de confiance abusait d’elle ?
Et toutes les autres..
A ces 5 types de violences, j’en ajouterais d’autres, que l’on m’a rapportées et que j’ai eu du mal à classer. Il y a notamment, celles qui arrivent durant l’accouchement, et s’ajoutent parfois les unes aux autres, constituant in fine pour certaines femmes un accouchement traumatique : la non prise en compte de la douleur, le fait d’être laissée seule de longues heures alors qu’on essaye d’accoucher sans péridurale, le fait se de faire engueuler parce qu’on ne pousse pas assez bien, le fait d’enlever le bébé tout de suite sans explication.
Audrey, m’a raconté que la sage femme a repoussé la tête du bébé qui sortait parce que le gynéco n’était pas encore arrivé et qu’il serait mécontent si ce n’était pas lui qui avait sorti le bébé (!!!). Elle a réussi à protester (elle est elle-même médecin, peut être que ça a aidé), et a sorti elle-même son bébé.
Il y a aussi le cas de ma courageuse amie Gaïa, qui, il y a 10 ans, lors de sa césarienne en urgence, a été ouverte à vif parce qu’on avait oublié de l’anesthésier. Oui, c’est davantage une erreur médicale grave qu’une violence gynécologique à proprement parler. Mais ce qui est violent, c’est que suite à ce traumatisme qui l’a marquée de façon terrible, elle n’a reçu aucune proposition d’aide, de suivi, aucune excuse officielle du gynécologue. Ce qu’elle avait vécu, une éventration, elle a dû s’en débrouiller toute seule et aller se payer elle même une thérapie.
Extraits de la BD de “projets crocodiles” sur les violences obstétricales
Et toutes ces paroles et manières d’agir, attestant le manque de délicatesse, la condescendance, le paternalisme, illustrent le manque de considération de la femme :
Suite à sa fausse couche, évènement douloureux pour elle, Claire demandait au médecin ce qui était sorti de son utérus lors du curetage, pour pouvoir s’en faire une représentation, mettre des mots dessus. Le médecin lui avait alors répondu “des déchets humains”. Comment se fait-il qu’il n’ait pas mesuré la violence de ces mots adressés à sa patiente ?
Mon vécu : celui d’avoir perdu mon bébé. Les paroles du médecin : “ce sont des déchets humains”.
Claire
Manon elle, raconte une attitude, en apparence anodine, mais qui l’a marquée :
Les violences gynécologiques et obstétricales prennent de nombreuses formes et sont malheureusement monnaie courante. Lourdes de conséquences, elles poussent de plus en plus de femmes à ne plus vouloir aller consulter, et à s’inscrire en rupture avec la médecine, au détriment de leur santé. En France, un site nommé Gyn&co répertorie les gynécologues et autres soignant·e·s réputés “safe” avec une approche bienveillante et plutôt féministe. Crée en 2014, ce blog participatif connait un succès important auprès des patientes désireuses de tomber sur quelqu’un de “sûr”.
Pourquoi n’a-t-elle rien dit ?
Lors des exemples cités auparavant, il y en a peut être pour lesquels vous vous êtes dits, mais pourquoi elle n’a rien dit ? Pourquoi n’a-t-elle pas protesté ?
C’est à la fois une très bonne et une très mauvaise question. Très bonne car il est important d’éclaircir ce point, très mauvaise car lorsqu’on pose cette question à une victime de violence qui raconte ce qu’elle a vécu, on la culpabilise sans le vouloir, on lui incombe la responsabilité de ne pas avoir su réagir.
La patiente face au médecin n’est pas sur un pied d’égalité. Elle est face à une personne qui incarne une forme d’autorité, le “sachant”, celui qui a le pouvoir de l’aider, de la soigner, s’il le veut bien. La patiente est dans une position vulnérable, d’autant plus si elle est inquiète si elle vient consulter pour un souci de santé. Si elle est nue les jambes écartées, elle sera beaucoup plus vulnérable encore. Je me rappelle d’une conversation avec une copine qui racontait que son dermato s’était permise de lui mettre une tape sur les fesses après l’avoir examinée. Elle s’en voulait terriblement de ne pas avoir réussi à dire quelque chose, mais avouait “j’étais en sous vêtements comment veux tu engueuler un médecin quand tu es en sous vêtements ?”.
Certains endroits sont des déserts médicaux dans lesquels on ne peut pas prendre le risque de se fâcher avec les médecins.
Et puis, il y a la sidération. Plusieurs personnes m’ont expliqué n’avoir pas réussi à dire quoi que ce soit tant elles étaient choquées, sidérées, que ça soit en salle d’accouchement (est-on vraiment en position de dire quelque chose dans ce moment ?), ou devant certains actes et remarques.
Une meilleure communication n’est pas une responsabilité que se partagent les médecins et les patients à 50% car ils ne sont pas au même niveau. C’est donc bien au personnel soignant de laisser cette place au patient en informant, en demandant le consentement, en demandant si la personne a des questions, si elle a bien compris.
“Placé sur un piédestal, tout médecin est en position d’abus de pouvoir ou de confiance. C’est une personne qui incarne l’autorité et les patients, vulnérables, se confient à lui et lui font confiance. Qu’elle sévisse en gynécologie et obstétrique ou dans un autre champ médical, la maltraitance infligée par les professionnels de santé reste invisible car souvent acceptée par les patients eux-mêmes.”
Mélanie Déchalotte
Pourquoi ces violences ?
La médecine, discipline sexiste ?
La médecine a été très longtemps une discipline réservée aux hommes. Aujourd’hui, en dépit de l’augmentation importante de la part des femmes dans le secteur médical (la moitié des diplômé·e·s en médecine) , on peut remarquer que la répartition des spécialités est très sexuée et les postes de décision sont très majoritairement aux mains des hommes. Par exemple, les femmes ne représentent que 12% des chirurgien·ne·s. Elles sont en revanche surreprésentées dans les professions d’aides soignants et infirmières, professions moins bien payées et considérées. Ainsi perdure l’image de l’homme chirurgien et de la femme infirmière au point que les femmes médecins lorsqu’elles entrent dans une chambre rapportent qu’elles sont quasiment systématiquement prises pour l’infirmière.
Néanmoins, la répartition sexuée est un problème presque anecdotique face au sexisme ambiant très présent en médecine.
Martin Winckler, médecin et écrivain engagé contre les maltraitances médicales, dénonce le paternalisme ambiant au sein de la médecine des médecins qui croient “tout savoir” et peine à se remettre en question, encore davantage avec les femmes en raison du sexisme au sein de la profession.
En 2011, l’urgentiste Patrick Pelloux dénonce dans cette tribune le sexisme patent qui règne au sein de la médecine et évoque des études étrangères, déplorant l’absence d’étude sur le sujet en France.
En 2015, l’histoire de la fresque de la salle des internes de Clermont Ferrand, mettant en scène un viol collectif de Marisol Touraine, avait délié les langues sur l’ambiance sexiste qui règne au sein des hôpitaux alors que le public découvrait cette tradition des fresques pornographiques dans les salles de garde, utilisée cette fois-ci ni plus ni moins que pour la représentation d’un crime.
En mars 2021, l’association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF) sort une enquête sur les violences sexistes et sexuelles rencontrées par les étudiant·e·s en médecine, à l’hôpital pendant leurs stages, et à la faculté de médecine. Les résultats sont alarmants.
A l’hôpital les remarques sexistes sont monnaie courante (la moitié des femmes ont déjà reçu une remarque sexiste à l’hôpital), venant la plupart du temps de leurs supérieurs, tandis que 38% d’entre elles rapportent du harcèlement sexuel. 5% des étudiant·e·s rapportent des agressions sexuelles à l’hôpital et des cas de viols sont rapportés.
Sur les bancs de la faculté, les étudiant·e·s rapportent des propos sexistes et misogynes prononcés par des professeurs dans l’amphithéâtre (comme par exemple avec ce genre de propos : “le problème de la médecine, c’est les femmes”), des blagues, remarques sexistes, réflexions déplacées sur la vie sexuelle (extrêmement répandues parmi les étudiant·e·s). Sans compter les nombreux cas d’agressions sexuelles et de viols rapportés suite à des regroupements festifs ou soirées d’intégrations. Suite à cette enquête, l’ANEMF se positionne pour que des sensibilisations soient proposées aux étudiants, et que des formations sur les violences sexistes et sexuelles (VSS) soient imposées aux personnels encadrants, ainsi que d’autres actions pour que l’omerta soit brisée autour des VSS.
Le sexisme ambiant, appris et intériorisé dès les bancs de la fac, par les femmes comme les hommes, peut être qualifié de systémique, tout comme les violences gynécologiques, en tant qu’actes sexistes. Une partie de la réponse semble bien se trouver là.
Le pouvoir et les institutions médicales : alliés de la domination historique du corps des femmes
Dans son rapport sur les violences gynécologiques et obstétricales, le Haut conseil à l’égalité évoque “l’histoire de la médecine gynécologique et obstétricale, traversée par la volonté de contrôler le corps des femmes (sexualité et capacité à enfanter).”
Pour Françoise Héritier, anthropologue qui s’est intéressée à la différence des sexes, la volonté d’emprise des hommes sur le corps des femmes afin de maîtriser leur capacité à enfanter est le fondement de la domination masculine, et une constante dans les sociétés patriarcales. Cette mainmise se traduit par un contrôle de la sexualité et des grossesses (lois pénalisant la contraception et l’avortement), l’interdiction de divorcer et la pénalisation plus grave de leur infidélité (jusqu’en 1975), la tolérance sociale des violences sexuelles notamment au sein du couple (pénalisation tardive du viol conjugal), et le double standart dans le jugement porté sur la sexualité des femmes et sur celle des hommes.
L’accouchement, confié historiquement aux matrones (jusqu’au XVIème siècle) puis aux sages femmes, s’est vu monopoliser par les hommes progressivement à partir du XVIIIème siècle. C’est notamment à cette époque que la position dorsale pour accoucher a vu le jour, plus inconfortable pour la parturiente, mais plus confortable pour le médecin qui accouche, et n’a ainsi pas besoin de s’accroupir sous la chaise d’accouchement.
Selon les politiques étatiques et les besoins natalistes, on a fait de la médecine un instrument de régulation de la population en contrôlant le corps des femmes.
C’est la raison pour laquelle les années 1970 voient la 2ème vague du féminisme se concentrer sur la réappropriation par les femmes de leurs corps, notamment à travers la lutte pour le droit à la contraception et à l’avortement. Ce mouvement s’accompagne d’une volonté de se réapproprier les connaissances et le savoir scientifique sur le fonctionnement du corps humain et sur la santé sexuelle et reproductive.
Aujourd’hui la lutte contre cette longue tradition de contrôle du corps des femmes et de leurs capacités reproductives continue, notamment à travers la critique de l’hyper médicalisation de l’accouchement. Martin Winckler dans son livre “les Brutes en blanc” écrit “En France, on n’est pas libre d’accoucher comme on le désire : […] l’attitude des gynécologues obstétriciens français est hostile non seulement à la reconnaissance du statut des sages-femmes dans l’espace public qu’est l’hôpital, mais aussi au choix des patientes d’accoucher avec une sage-femme, en milieu démédicalisé, voire à domicile” alors que l’accouchement à domicile ou dans des maisons de naissance est courant dans de nombreux pays (pour les accouchements sans risque particuliers) au bénéfice démontré de la mère et de l’enfant.
Bien traiter le personnel soignant pour éviter les maltraitances
Si le corps médical est, du point de vue que nous traitons, l’auteur potentiel des violences, il fait aussi l’objet d’une violence budgétaire gravissime.
Restrictions financières des hôpitaux, gardes épuisantes, management traitant les patients comme un ensemble de coûts, manque de personnel. Les hôpitaux tirent désespérément la sonnette d’alarme. La littérature médicale regorge d’études analysant l’effet des conditions de travail du personnel soignant sur la qualité des soins et il n’y a pas photo, l’impact est flagrant.
Les choix politiques qui sont faits quant à la gestion des hôpitaux sont donc particulièrement en cause, avec au cœur du problème le “tournant gestionnaire” du début des années 2000. Les nouveaux gestionnaires de l’hôpital n’ont pas de connaissance sur les soins et ont des exigences en terme de flux, budgets, critères de rentabilité, masse salariale.
S’attaquer au problème des maltraitances médicales, et plus particulièrement des violences gynécologiques, implique de repenser le système de santé, et de sortir d’une logique économique pour favoriser une approche respectueuse des droits des personnes. ➝ Pour plus d’information voire le collectif santé en danger.
Quelques propositions pour lutter contre les violences gynécologiques et obstétricales
Ces propositions sont issues des recommandations du Haut Conseil à l’Egalité. Si vous avez d’autres idées, n’hésitez pas à commenter !
Reconnaitre l’existence et l’ampleur des actes sexistes et violences au sein du suivi gynécologique
- Réaliser des enquêtes de santé publique pour connaitre les suivi gynécologique et obstétrical des femmes mais surtout leur satisfaction et leur vécu quant à ceux ci.
- Encourager la recherche académique sur les violences gynécologiques et obstétricales dans les projets financés par les ministères de la santé et de l’enseignement supérieur.
- Intégrer dans les soins pris en charge à 100% par l’Etat les soins dispensés suite à un antécédent obstétrical traumatique par des psychologues et psychiatres formé·e·s aux conséquences psychotraumatiques.
Prévenir les actes sexistes relatifs au suivi gynécologique et obstétrical
- Renforcer la prévention et la lutte contre le sexisme et les violences sexuelles au sein de la profession par des campagnes de prévention et des cellules d’écoute dédiées.
- Renforcer la formation initiale et continue des professions médicales et paramédicales pour prévenir les actes et violences sexistes (rendre obligatoire les modules sur la bientraitance, consentement, violences sexistes et sexuelles, intégrer ces thématiques dans les priorités de formation continue).
- Rendre explicite dans le droit (code de déontologie médicale) l’interdit des actes sexistes dans la relation de soin.
- Elaborer et diffuser une recommandation globale de bonnes pratiques relatives au suivi gynécologique.
- Faire appliquer les recommandations de la HAS et de l’OMS en matière de suivi gynécologique et obstétrical.
- Augmenter significativement les moyens financiers et humains dévolus à la santé.
Améliorer et faciliter les procédures de signalements et condamner les pratiques sanctionnées par la loi
Par une information des femmes concernant leurs droits, tout au long de leur vie :
- Mettre en place l’obligation, prévue par la loi depuis 2001, d’une éducation à la sexualité dans les écoles, collèges et lycées.
- Mettre à jour et diffuser un livret d’information relatif à la première consultation gynécologique (rappelant entre 1000 autres choses, qu’il n’est pas obligatoire pour les femmes de se déshabiller intégralement pour subir les examens).
- Permettre une plus grande implication des femmes dans le suivi de grossesse, l’accouchement et la suite de couches.
- Généraliser l’entretien pré-natal et créer un entretien post natal pris en charge par la sécurité sociale, qui permette aux femmes d’échanger sur le déroulement de leur accouchement.
- Rappeler l’obligation d’inscrire tous les actes pratiqués au dossier médical de chaque parturiente.
- Informer les femmes concernant leurs droits et les possibilités de recours en cas d’actes et violences sexistes au cours du suivi gynécologique et obstétrical (campagnes d’information grand public, commissions des usager·e·s, informer sur les droits des patientes lors des 8 séances de préparation à l’accouchement…).
- Soutenir financièrement les associations qui accompagnent les femmes victimes de violences gynécologiques et obstétricales.
Par une plus grande implication des Ordres Professionnels
- Prévoir une procédure disciplinaire spécifique d’examen des plaintes pour violences sexuelles.
- Former les membres des chambres disciplinaires des ordres des sages-femmes et des médecins à la prise en compte des violences sexistes et sexuelles.
Par une meilleure réponse pénale concernant les pratiques sanctionnées par la loi
- Systématiser la transmission à la justice des plaintes formulées auprès des Ordres des médecins et des sages-femmes relatives à des pratiques réprimées par le Code Pénal, dès lors que la victime a donné son accord.
- Renforcer la formation des forces de l’ordre et des magistrat·e·s sur les violences sexistes et sexuelles.
Un grand MERCI à toutes les femmes qui m’ont confiée leurs témoignages
Sources
Rapport du Haut Conseil à l’égalité :
Rapport du Sénat :
Ouvrages :
Caroline De Pauw, 2022 – La santé des femmes
Marine Gabriel, 2020 – La vérité au bout des lèvres, combattre les violences obstétricales et gynécologiques
Martin Winckler, 2016 – Les brutes en blanc
Louise Mey et Klaire fait Grr, 2021 – Chattologie
Françoise Héritier, 2010 – La différence des sexes
Melanie Déchalotte, 2017 – Le livre noir de la gynécologie
Sites
https://payetongyneco-blog.tumblr.com/
Documentaire “Paye (pas) ton gynéco” de Nina Faure (2018)
Comptes instagram
Superbe!
Ca merite une petite broderie “le point du mari” ! 🙂