Vous avez peut être entendu ces petites phrases, à propos d’un fait de violence sexuelle : “Elle l’a bien cherché”, “moi ça m’arriverait pas”, “c’était un vrai viol ?”, “c’est la mode d’accuser les mecs de viol”, “ça va, c’est pas la mort”, “mais t’as vu comment elle était habillée ?”, “en même temps à force d’allumer les mecs comme ça tu m’étonnes qu’elle se fasse violer”.
Les mythes sur le viol
Le concept des mythes sur le viol a été introduit dans les années 70 par des sociologues qui décrivaient sous ce terme un ensemble complexe de croyances culturelles pouvant soutenir et perpétuer la violence sexuelle masculine à l’encontre des femmes, en accusant la victime tout en absolvant l’auteur et en minimisant ou en justifiant l’agression [1]. En 1980, Burt publie la première étude sur l’adhésion aux mythes du viol [2]. C’est Noémie Renard dans son excellent blog antisexisme.net qui en fait pour la première fois une traduction en Français [3].
Ces mythes ont été classés en 3 catégories :
- “Il ne s’est rien produit” : ces mythes regroupent l’idée que les femmes accusent à tort les hommes de viol, ou que les situations décrites ne sont pas un viol (ex : si le violeur est le mari ou le partenaire, si c’était à une soirée alcoolisée), ou que la victime exagère (“ce n’est pas si grave”, “il n’y a pas mort d’homme” ), que c’est un “malentendu”, une histoire de drague qui aurait “dérapé”. Il va également de pair avec le mythe du “vrai viol” qui est dans l’imaginaire collectif commis par un inconnu armé dans un parking souterrain ou une ruelle sombre tard le soir.
- “Elle l’a voulu” ou “elle a aimé” : ici ce sont les affirmations selon lesquelles les victimes auraient pu résister si elles ne voulaient vraiment pas, l’idée que les femmes peuvent prendre du plaisir à être forcées, que lorsqu’elles disent non en fait ça veut dire oui.
- “Elle l’a mérité” : on remet en cause l’attitude de la victime, la manière dont elle était habillée, le fait qu’elle soit rentrée seule, ou qu’elle ait bu de l’alcool.
Ces mythes, que l’on peut intégrer dans “la culture du viol” ont pour fonction de culpabiliser les victimes, de minimiser voire invisibiliser les violences sexuelles, et de déresponsabiliser les violeurs, contribuant à perpétuer un équilibre favorable au système de domination en place.
Des mythes largement répandus
Dans la population
Les premières études [4] [5] sur l’adhésion aux mythes sur le viol montrent qu’avec des questions fermées, entre 25% et 35 % des gens adhèrent à la majorité de ces mythes. Avec des questions ouvertes 66% des personnes interrogées approuvaient les mythes autour du viol.
Plus récemment, l’association Mémoire traumatique et victimologie a fait réaliser avec IPSOS un sondage sur “Les Français et les représentations sur le viol et les violences sexuelles”. Cette enquête a été réalisée 3 fois : en 2016 , en 2019 et en 2021.
En proposant des affirmations avec lesquelles les répondants devaient se dire tout à fait d’accord, plutôt d’accord, plutôt pas d’accord ou pas du tout d’accord, le sondage évaluait l’adhésion à des mythes du type “une attitude provocante de la victime atténue la responsabilité du violeur”, “les femmes peuvent prendre du plaisir à être forcées”, “si la victime ne réagit pas, ce n’est pas une violence sexuelle”, etc.
Ces 3 enquêtes successives permettent de voir les évolutions dans les mentalités, notamment depuis le mouvement #metoo permettant de faire entendre la réalité des violences sexuelles dans les médias.
En 2016 et en 2019, une majorité de Français·e·s montrait une forte méconnaissance des statistiques des viols, ainsi qu’une forte adhésion à des stéréotypes sexistes et à des fausses représentations et mythes sur le viol et les violences sexuelles, malgré le mouvement #metoo de 2017.
Oui oui 20 % des Français·e·s pensent que les femmes aiment être forcées (ça fait quand même une personne sur 5…).
En 2021, OUF, il y a pour la première fois un net recul de l’adhésion des Français·e·s aux stéréotypes sexistes et à la culture du viol par rapport aux deux premières enquêtes, SAUF pour les jeunes de 18 à 25 ans (surtout les jeunes hommes) qui adhèrent plus que le reste de la population à des représentations violentes et sexistes de la sexualité et à la culture du viol :
Néanmoins, 1 français·e sur 5 considère encore que le fait de forcer son conjoint à avoir des rapports sexuels n’est pas un viol, et 1 français·e sur 3 pense que la responsabilité des violeurs est atténuée si les femmes ont une attitude provocante en public, sont allées seules chez un inconnu, ont flirté ou si des adolescentes ont eu une attitude séductrice (pour ne citer que quelques exemples).
Si vous quelque part, au fond de vous, une petite voix vous dit qu’il est vrai que les victimes sont parfois responsable de ce qui leur arrive, vous pouvez lire cet article
Dans la parole publique
Ces stéréotypes ne seraient peut être pas si répandus, si nos chers politiques, et par extension toutes les personnalités qui s’expriment publiquement et ont une audience importante, se décidaient à montrer l’exemple. Au lieu de ça, ils concourent joyeusement à véhiculer ces clichés.
Un des exemples les plus marquants de cette parole à la rescousse des violeurs est celui de l’affaire Dominique Strauss-Kahn [7]. Du “troussage de domestique” de Jean-François Kahn au “il n’y a pas mort d’homme” de Jack Lang, sans compter les accusations et suspicions à l’encontre de la victime, nombreuses ont été les réactions cherchant à minimiser, ou à remettre en cause l’honnêteté de la victime. Jean-Marie Le Guen déclare qu’il devait s’agir d’une “hallucination” de la part de la victime, Michèle Saban parle d’un “complot international” [8].
Plus récemment Nicolas Hulot accusé de viol déclare “Je sais que j’ai un physique très ingrat et que donc seule la contrainte me permet de vivre des histoires d’amour…” tandis que Zemmour définit l’homme comme “un prédateur sexuel, un conquérant” défendant l’idée d’une sexualité par nature violente.
De l’autre côté de l’atlantique, Donald Trump déclare “attraper les belles filles par la chatte” et “les embrasser de force”, et le candidat au sénat Todd Akin déclare en 2017 pour s’opposer à l’avortement même en cas de viol : “Dans le cas d’un vrai viol, le corps féminin sait se défendre et il est pratiquement impossible qu’il y ait fécondation”.
Et que penser de la sortie de José Manuel Castelao Bragaña en Espagne qui déclare en 2012 : “Les lois sont comme les femmes, elles sont faites pour être violées”.
Les propos d’Alain Finkielkraut m’avaient particulièrement choquée en 2019 lorsqu’il s’était énervé sur un plateau de télé face à Caroline de Haas qui abordait les violences sexuelles. Elle le raconte dans son livre [10] : “Il a littéralement pété un plomb et s’est mis à lancer à la cantonade, sur un ton qui se voulait ironique « Violez, violez, violez ! Je dis aux hommes : violez. D’ailleurs je viole ma femme tous les soirs ». A ce moment là, Alain Finkielkraut sait qu’il s’adresse à une victime de viol. Il sait aussi qu’à l’instant où il prononce cette phrase, des dizaines de milliers de victimes de viol le regardent. Les mots qu’il emploie font mal. Ils heurtent. Le fait qu’il choisisse de plaisanter sur un crime qui, pour beaucoup d’entre nous, a rendu nos vies plus dures, plus compliquées, parfois insupportables, est blessant”.
Les gens qui ont le privilège de s’exprimer publiquement ont aussi des responsabilités face aux paroles qu’ils portent. Les mots ont un pouvoir, ils ont des conséquences sur nos pensées, et nos actes.
Dans les médias
Les médias ne sont pas en reste et jouent un rôle important dans le façonnement de nos manières de penser, de nos croyances et représentations. Par les mots qu’ils choisissent d’utiliser, l’angle par lequel ils abordent les affaires médiatiques concernant des viols, agressions sexuelles ou harcèlement.
En 2008 [9] une étude a été faite sur 156 articles de journeaux traitant de l’affaire Kobe Bryant, un basketteur américain accusé de viol. 65% d’entre eux comportaient un mythe sur le viol. En première position le mythe “elle ment” (42% des articles) et en second “elle en avait envie” (31% des articles).
“Les mots ne sont pas neutres” dit Caroline de Haas [10] en montrant comment choisir certains mots plutôt que d’autres dans les titres d’articles par exemple, peuvent minimiser les faits, blâmer les victimes. On parle “d’attouchements”, de “baiser volé”, de “gestes déplacés” au lieu d’agression sexuelles, on utilise le terme “accusatrice” plutôt que de victime présupposée, on précise la manière dont elle était habillée, on la décrédibilise.
Sophie Gourion, dans son tumblr “les mots tuent” [11] recense les articles qui banalisent les violences. En voici quelques exemples :
Les articles qui présentent les agresseurs et violeurs de manière sympa :
Les articles qui présentent les agressions sexuelles de manière “drôle” :
Les articles qui remettent en cause la victime “nymphomane” :
Les articles qui minimisent, font passer les violences sexuelles pour des “dérapages”, la pédocriminalité pour un “amour” trop fort d’un père pour ses filles, d’un “gout prononcé” pour les adolescentes :
Dans les publicités
Dans les publicités, on aime bien aussi se servir des violences sexuelles, mises en scène ou tournées en dérision pour faire vendre :
Plus généralement, le fait de présenter dans les publicités les femmes comme des objets, voire comme des bouts de viande, contribuent à créer un contexte favorable à la circulation des mythes sur le viol. Cela fait partie de “la culture du viol”.
Dans les films
De nombreux films mettent en scène certains de ces mythes. Le plus répandu est peut être celui que si on force une femme (en l’embrassant de force, en la coinçant contre un mur, en lui faisant du chantage sexuel), elle finit par aimer ça, emmenant le spectateur non averti sur la pente glissante de la confusion entre amour, séduction et violence.
Par exemple dans cette scène de James Bond (Goldfinger), l’agent secret se bat avec une femme, se jette sur elle puis lui monte dessus de force alors qu’elle est à terre. A ce moment là, des violons commencent à jouer une musique romantique (!). James Bond se rapproche du visage de la femme, tandis qu’elle essaye de le repousser, puis l’embrasse de force. Totalement non consentante au début du baiser, elle finit par y prendre gout et le lui rendre. Et oui, ça marche comme ça l’amour ! Suffit de forcer un peu !
Il existe de nombreuses scènes du même genre dans des films à grand succès (Star wars, Indiana jones…).
Dans d’autres cas, il s’agit de mécanismes “plus subtils” qui entrainent le spectateur dans une confusion entre amour, érotisme, relation abusive, agression sexuelle.
J’ai entendu plusieurs fois récemment que le film “La leçon de piano”, réalisé par Jane Campion en 1993 et récompensé par la palme d’or à Cannes était “une belle histoire d’amour”. Heuu.. ?? Donc pour ceux qui ne l’ont pas vu (attention spoilers) ou qui l’ont vu il y a longtemps, la leçon de piano c’est l’histoire de Ada, une femme veuve muette, au XIXème siècle, qui est mariée à un inconnu, un colon qu’elle doit rejoindre en Nouvelle-Zelande depuis l’Angleterre. Privée de parole, elle s’exprime à l’aide de son piano qui est donc vital pour elle. A son arrivée son mari décide d’abandonner le piano sur la plage. Le voisin de son mari décide de prendre le piano chez lui et négocie avec le mari qu’elle vienne lui donner des cours de piano chez lui. Lors de la première leçon il l’embrasse dans le cou sans la prévenir pendant qu’elle joue. Elle se lève brusquement trop choquée. Il finit par lui dire qu’il veut qu’elle fasse “certaines choses”. En échange il lui donnera symboliquement un nombre de touches de son piano. Quand elle aura obtenu la totalité des touches il lui rendra son piano. Il lui fait donc subir un chantage sexuel pour pouvoir récupérer un bien vital qui lui appartient. Au final son mari tente de la violer brutalement dans la forêt, le voisin lui dit que finalement il lui rend son piano parce que ce chantage le rend malheureux lui, et à ce moment là du film il devient le bon violeur comparé à son mari le méchant violeur et tout à coup elle est finalement attirée par lui et en redemande. Le mari les surprend, coupe le doigt d’Ada avec une hache et lui ordonne de partir avec le voisin. Sur le bateau le piano est trop lourd et va les faire couler. Ada demande à ce qu’on le jette par dessus bord et met délibérément le pied dans le cordage pour se suicider avec son piano.
Il ne s’agit pas de dire que c’est un mauvais film, ni même de dire qu’il est sexiste, car une lecture féministe qui montrerait l’oppression que subit une femme par le patriarcat du XIXème siècle est tout à fait possible. Ce qui me dérange ici c’est la confusion entre le chantage sexuel clairement abusif et sa transformation en “belle histoire d’amour”. Perpétuant le mythe que si on force une femme et qu’on insiste un peu, elle finira par aimer ça.
Sur les réseaux sociaux
Si vous doutez encore du caractère répandu des mythes sur le viol, que vous écoutez peu les politiques ou que vous lisez peu les articles de journaux et que vous ne regardez pas les publicités pour les beefsteacks, vous ne pouvez pas être passés à côté du nouveau sport international : donner son avis en commentaires sur facebook ! Du pain béni pour tout sociologue ou chercheur qui voudrait étudier les mentalités sur un sujet donné !
A chaque article traitant d’un viol, des commentaires fusent et beaucoup d’entre eux contiennent des mythes sur le viol. Saurez-vous les reconnaître ?
Liste des mythes cités dans les commentaires ci dessous :
- Les femmes mentent
- Les femmes font des fausses accusations pour obtenir de l’argent
- Ce sont les hommes les victimes de fausses accusations
- Elle l’a bien cherché
- Si c’est un vrai viol, la victime porte plainte
- Dénoncer un viol, c’est la mode, c’est tendance
- Dénoncer les violences sexuelles fait que les hommes ne pourront plus rien faire
- Les femmes provoquent les viols en s’habillant trop sexy
- Les hommes ont des pulsions sexuelles irrépressibles
- Il ne peut pas y avoir de viol entre deux personnes qui entretiennent une relation intime
- Les maisons closes et bordels empêcheraient les viols
- Les femmes laides ne peuvent pas être violées
- Les hommes ne peuvent pas être violés
- Les viols sont commis par des psychopathes dégénérés
Pourquoi ces mythes ?
Perpétuer l’ordre en place : le lien entre violences sexuelles, pouvoir et domination [20]
Les violences sexuelles ne sont pas seulement des drames individuels et isolés. Ils ont également un sens politique dans un contexte de domination d’individus ou de groupes sur d’autres. En effet pour pouvoir contraindre une personne à des actes sexuels non désirés, il faut avoir un pouvoir sur elle (physique, psychologique, statutaire, économique). Si l’on regarde qui sont les victimes et qui sont les agresseurs dans les statistiques, on n’y retrouve pas seulement une somme de situations individuelles, mais se dégagent des tendances qui montrent des rapports de domination. Les violences sexuelles sont commises à une majorité écrasante par des hommes. Les victimes sont en majorité des enfants, des femmes. Et plus encore si ce sont des femmes pauvres, ou handicapées.
Le traitement social et juridique réservé aux victimes et aux agresseurs reflètent eux même ces axes de domination. Les individus ayant un statut social élevé sont souvent jugés plus favorablement que ceux qui se situent en bas de l’échelle sociale. Ce schéma s’applique aussi aux victimes qui dévoilent les violences.
A une échelle plus individuelle, Noémie Renard cite une étude [21] qui cherchait à savoir ce qui poussait les hommes à violer : un désir sexuel ou un désir de dominer ? Les résultats ont révélé que c’est bien le plaisir de dominer qui prédit la propension au viol et non l’excitation sexuelle.
Les violences sexuelles sont l’expression de hiérarchies existantes mais constituent également un outil pour les maintenir [20]. Les anthropologues ont décrit comment le viol et notamment le viol collectif est utilisé dans diverses sociétés par les hommes pour punir les femmes qui ne respectent pas leurs règles. Chez certaines sociétés du Brésil, les femmes n’ont pas le droit de voir certains objets sacrés et la sentence est le viol collectif. Chez d’autres c’est l’infidélité féminine qui est sanctionnée ainsi.
Dans les sociétés occidentales, le viol et notamment le mythe de “elle l’a bien cherché” peuvent être perçus comme un “juste retour des choses”. D’après Noémie Renard, ce mythe comporte clairement un contenu punitif. Une femme qui n’a pas respecté certaines règles de prudence ou de bienséance ne doit pas venir se plaindre si elle a été violée.
Elle va plus loin en se demandant si dans les pays occidentaux, la peur des violences sexuelles permet de contrôler le comportement des femmes. Et la réponse est oui : les travaux de recherche sur le sujet montrent que la peur du viol pousse les femmes à adopter des comportements d’auto-restriction (rester chez soi, éviter de rentrer seule le soir, porter des tenues “correctes”, etc.).
En créant un contexte défavorable pour les victimes, et avantageux pour les violeurs, en minimisant ou en invisibilisant le viol, les mythes sur le viol favorisent l’ordre de domination en place. Or les bénéficiaires d’un ordre de domination en place n’ont aucun intérêt à ce que celui-ci change. Accepter de prendre en considération le viol à sa juste mesure bouleverserait les rapports de force et l’impunité répandu dans toutes les sphères, y compris celles du pouvoir. À méditer…
Que peut-on répondre aux mythes, clichés et stéréotypes sur le viol et les violences sexuelles ?
Rappeler la réalité des violences sexuelles par les chiffres, les études, les rapports [15]
Les chiffres montrent que les violences sexuelles sont un phénomène massif.
En France chaque année 112 000 (98 000 femmes et 18 000 hommes) adultes sont victimes de viol ou tentative de viol [12] [13].
Les violences sexuelles touchent principalement les femmes et les enfants. En 2020 le rapport Sauvé estime que 14,5% des femmes et 6,4 % des hommes de plus de 18 ans ont été sexuellement agressés pendant leur minorité.
Les hommes peuvent être aussi victimes de viol, c’est fréquent pendant l’enfance, beaucoup plus rare à l’âge adulte, mais dans ce cas encore plus soumis aux stéréotypes (“un homme ne peut pas être violé”, “s’il a une érection c’est qu’il est forcément consentant”, ” un homme peut toujours se défendre”, etc.).
Les viols ne touchent pas plus les femmes habillées de manière “sexy” que celles habillées autrement. Les viols touchent les femmes les plus vulnérables (ex : les femmes handicapées [14]).
Les viols ne sont pas commis par des inconnus dans la rue mais par des personnes de l’entourage. Dans le cas de violences sexuelles faites aux mineur·e·s, les agresseurs sont des proches dans 94% des cas. Seuls 18 % des viols sur personne majeure sont le fait d’inconnus.
Les viols conjugaux sont reconnus et punis par la loi, le viol par le partenaire est une circonstance aggravante du crime (article 222-24 du code pénal).
Parler des conséquences
Le viol ça détruit
Les violences sexuelles sont fréquemment à l’origine de troubles psychotraumatiques graves qui entraînent :
- des symptômes de stress post-traumatiques (état de choc, reviviscences, cauchemars, sensations de danger permanent),
- des symptômes anxio-dépressifs (crises d’angoisse, panique, dépression, baisse de l’estime de soi, dévalorisation, anesthésies émotionnelles),
- un risque suicidaire accru,
- des conséquences sur la santé physique : troubles neurologiques, gynécologiques, digestifs, davantage de pathologies cardiovasculaires, grossesses non désirées, IST, etc.
Au-delà des conséquences auxquelles tout le monde pense, les victimes rapportent des conséquences plus insidieuses au sein de leur qualité de vie. Elles se plaignent souvent de douleurs chroniques, de fatigue chronique, sont plus vulnérables aux addictions, aux comportements à risque. Leur équilibre relationnel, affectif, professionnel peut se trouver impacté.
Il s’agit donc bien d’une question grave qui comporte des enjeux majeurs à l’échelle individuelle mais aussi à l’échelle sociétale tant elle influe sur la qualité de vie d’un grand nombre de citoyens. Les victimes de viol ont besoin d’aide, de soins, de reconnaissance, de protection.
Une seconde peine : la survictimisation
On l’a vu ces mythes ont tendance à culpabiliser la victime, minimiser les faits, inverser les responsabilités. C’est ainsi que beaucoup de victimes rapportent qu’elles se sont senties peu soutenues, aussi bien par leur entourage proche que par les professionnels si elles en ont consultés (professionnels de santé, de la police, de la justice). Le hashtag #doublepeine mettait en lumière récemment l’effet de revictimisation dû au mauvais accueil des victimes de violences sexuelles par les forces de l’ordre : refus de prendre les plaintes, moqueries, remarques dégradantes, questions culpabilisantes. L’enquête menée par le collectif NousToutes [18] montre que 66% des répondantes ayant porté plainte pour des faits de violences sexuelles rapportent une mauvaise prise en charge par les forces de l’ordre.
Ces “petites phrases” mettent en doute la réalité des violences, les banalisent, ou accusent la victime : “mais tu l’avais provoqué ?”, “bah en même temps c’est normal t’es jolie”, “je pense pas qu’il serait capable de faire une chose pareille”, “moi ça me serait pas arrivée” ; qu’elles viennent d’un proche ou d’un professionnel, elles isolent les victimes et les privent d’une aide dont elle ont besoin, augmentant considérablement le risque de chronocisation des troubles psychotraumatiques.
En plus de tous les troubles psychotraumatiques, la victime risque un sentiment de culpabilité (puisqu’on lui dit que c’est de sa faute), une baisse de l’estime de soi, pouvant aller jusqu’à la haine de soi, à l’auto-agressivité.
Les mythes sur le viol favorisent l’impunité
Chez la victime, ces mythes la font se sentir coupable, responsable, honteuse, et la dissuadent de porter plainte. Ces mythes peuvent être tellement intériorisés que la victime n’a parfois pas une conscience claire que ce qu’elle a vécu est un viol.
L’entourage qui adhère à ces mythes participe lui aussi à cette loi du silence. Le soutien de l’entourage a pourtant beaucoup d’impact sur les démarches que peut intenter la victime, et pour lesquelles elle a besoin de soutien, ainsi que pour sa reconstruction.
Ces mythes, également présents malheureusement au sein des instances policières et judiciaires, vont favoriser l’impunité par le nombre de classements sans suites, non-lieux, ou acquittements dans lesquels on va considérer qu’il n’y a pas eu viol, que la victime ment, ou qu’elle l’a bien cherché. Il en va de même pour la manière dont sont reçues les victimes de viol dans les commissariats.
Sensibiliser et éduquer les jeunes (et les moins jeunes)
Les mythes sur les violences sexuelles proviennent aussi d’une vision plus largement stéréotypée de la société, de la répartition des rôles, et du système de domination en place.
Les stéréotypes de genre (il faudra un article entier pour en parler) qui tendent à favoriser chez les garçons des comportements plus agressifs et dominants, et à apprendre aux filles à être plus discrètes, prendre soin des autres et éviter les conflits, sont le terreau de la culture du viol [19]. Dès le plus jeune âge certains comportements problématiques sont banalisés (garçons qui soulèvent les jupes des filles, leur touchent les fesses, espionnent dans les vestiaires). Plus tard on inculque aux jeunes que les garçons ont des besoins sexuels, des pulsions ; on apprend aux filles à plaire davantage qu’à désirer.
Il est donc indispensable d’éduquer dès l’enfance à l’égalité femme-homme, au respect de l’autre quelque soit son sexe, à la sexualité et au consentement.
Ci-dessous une petite vidéo d’un sketch sur les mythes, écrit et joué à l’occasion de la journée internationale contre les violences faites aux femmes :
Agir à son échelle
La lutte contre les stéréotypes et la culture du viol devrait passer par les pouvoirs publics (plus de moyen dans l’éducation à l’égalité, dans la formation des professionnels, dans la lutte contre les violences).
En attendant, avoir connaissance de ces mythes et être sensibilisé à la question des violences sexistes et sexuelles permet d’agir auprès de son entourage ou de ses réseaux. Dans la mesure de son envie, son énergie, sa disponibilité (parce qu’éduquer n’est pas un devoir qui revient aux militant·e·s), repérer expliquer, informer permet parfois des remises en question salutaires.
L’attitude que l’on adopte face aux victimes est également une manière de lutter contre les mythes du viol : l’écouter avec bienveillance et empathie, lui dire que ce n’est pas de sa faute, que ce qu’elle ressent est normal et légitime, que l’agresseur n’avait pas le droit de faire ça, que la loi est de son côté, qu’on peut l’aider, qu’elle peut nous en parler quand elle veut.
Ce que l’on peut dire aux victimes de viol, est le sujet abordé dans mon TEDx en 2021 :
Le mythe “elle l’a bien cherché” est tellement ancré qu’il faudra lui répéter encore et encore que ce n’est pas de sa faute ; qu’elle n’est pas responsable de ce qui s’est passé (voir cet article).
Les mythes autour du viol constituent un sujet à tiroir. S’y intéresser permet d’aborder de nombreuses questions sur nos représentations et nos pensées ancrées, sur leur impact sur les agresseurs et les victimes, sur ce que ces mythes disent de la société dans laquelle nous évoluons. De nombreuses choses pourraient encore être développées, mais cet article est bien trop long, j’en ai conscience. Aussi si tu as lu jusqu’ici, je te félicite !!! N’hésite pas à me faire tes remarques en commentaire ou en privé.
Sources
[1] Schwendinger, J. R., & Schwendinger, H. (1974). Rape myths: In legal, theoretical, and everyday practice. Crime and Social Justice(1), 18-26.
[2] Burt, M. R. (1980). Cultural myths and supports for rape. Journal of Personality and Social Psychology, 38(2), 217-230. doi:10.1037/0022-3514.38.2.217
[3] https://antisexisme.net/2011/12/04/mythes-sur-les-viols-partie-1-quels-sont-ces-mythes-qui-y-adhere/
[4] Lonsway KA, & Fitzgerald LF. Rape Myths. In Review. Psychology of Women Quarterly. 1994;18:133-164.
[5] Buddie AM & Miller AG. Beyond rape myths: A more complex view of perceptions of rape victims. Sex roles. 2001;45(3-4):139-160.
[7] Christine Delphy (coordinatrice) (2011). Un troussage de domestique. Paris : Syllepse (coll. Nouvelles Questions Féministes), 182 pages.
[8] Valérie Rey-Robert (2020). Une culture du viol à la française
[9] « FRANIUK Renae, SEEFELT Jennifer L., CEPRESS Sandy L. et VANDELLO Joseph A., « Prevalence and effects of rape myths in print journalism the Kobe Bryant case », Violence Against Women, 2008 »
[10] Caroline de Haas – Collectif Nous toutes. En finir avec les violences sexistes et sexuelles
[11] https://lesmotstuent.tumblr.com
[12] Rapport d’enquête “Cadre de vie et sécurité” décembre 2019
[13] Muriel Salmona (2021) Violences sexuelles – les 40 questions réponses incontournables
[14] https://www.senat.fr/rap/r19-014/r19-014-syn.pdf
[15] https://arretonslesviolences.gouv.fr/sites/default/files/2021-12/Lettre%20n°17%20-%20Les%20violences%20au%20sein%20du%20couple%20et%20les%20violences%20sexuelles%20en%202020.pdf
[16] Muriel Salmona. Le livre noir des violences sexuelles
[18] https://www.noustoutes.org/ressources/resultats_enquete_prendsmaplainte.pdf
[19] Noémie Renard. En finir avec la culture du viol
[20] Noémie Renard. En finir avec la culture du viol. 3eme partie “Le viol, une histoire de pouvoir et de domination”
[21] P. Chiroro, G. Bohner, G.T. Viki et C. I. Jarvis, “Rape myth acceptance and rape proclivity : expected dominance versus expected arousal as mediators in acquaintance-rape situations”, Journal of Interpersonal Violence, avril 2004.
Les 3 sondages “Les Français·e·s et les représentations sur le viol” par Ipsos et mémoire traumatique et victimologie
2016 : https://www.memoiretraumatique.org/campagnes-et-colloques/2016-enquete-ipsos.html
2019 : https://www.memoiretraumatique.org/campagnes-et-colloques/2019-enquete-ipsos.html