J’entends régulièrement qu’une victime de violence serait en partie responsable de ce qu’elle subit, ou a subi. De la bouche d’inconnus, de connaissances, d’amis, de thérapeutes, hommes ou femmes.
Cette idée est assez suffisamment ancrée pour être répétée, souvent sans argumentation, comme le sont les croyances.
Ce texte ne juge personne, il est au contraire une invitation à réfléchir mais surtout à s’informer. Car il existe désormais bon nombre de travaux sur le sujet, qui tordent le cou à certaines idées reçues. Nous avons tous des intuitions et des idées sur ce sujet de société qu’est la violence. Mais les confronter à l’état des connaissances est une étape fondamentale, surtout lorsqu’on s’apprête à aider, à écouter, à accompagner une personne victime de violences, dans un cadre professionnel ou personnel. On a tous intérêt à se former aux mécanismes de la violence, se renseigner sur ce que sont les violences conjugales, les violences sexuelles, lire des ouvrages, écouter les personnes qui dédient leur carrière à étudier ces mécanismes (sur les plans clinique, neurobiologique, psychologique, social, et qui se battent pour une meilleure prise en charge des victimes de violence).
Avoir subi soi-même des violences ne fait pas de nous un·e expert·e. Car on peut être persuadé d’avoir raison sur son chemin personnel, faire passer ses croyances au crible d’ une validation externe d’un consensus d’experts (professionnels) sur la question permet d’éviter bien des écueils. La violence est un vaste sujet, choisissons quelques exemples :
[NB : Compte tenu des statistiques, les exemples pris lors de la rédaction de cet article concernent plutôt des violences exercées par des hommes sur des femmes, mais il est entendu que les violences exercées par des femmes et/ou à l’encontre d’hommes existent également. ]
Sur les violences conjugales
On peut parfois entendre :
« Si elle reste avec son mari violent, c’est son choix !
« Elle est en partie responsable de ce qu’elle subit ! »
Le fait qu’une personne puisse subir des violences répétées et qu’elle reste auprès du conjoint violent apparaît en effet très mystérieux. Il est facile de penser que si elle reste, c’est que c’est son choix, elle pourrait partir après tout ! Mais penser ainsi, c’est ignorer les éléments suivants :
le phénomène de dissociation traumatique [1] [2] [20]
En voici une explication résumée : la dissociation est le mécanisme par lequel, lorsqu’une personne est confrontée à une situation de violence, le cerveau opère une déconnexion des émotions, faisant ainsi disjoncter le circuit du stress intense. Sans cette déconnexion, le stress trop important peut entraîner un risque vital.
Stress intense → sécrétion d’adrénaline et de cortisol → augmentation du rythme cardiaque et de la respiration : c’est grosso modo la cascade des événements provoqués par une situation de violence. Si la situation dure, elle devient risquée physiologiquement. La personne est en danger. Pour se protéger, le cerveau disjoncte. La victime plonge dans une anesthésie émotionnelle. On dit qu’elle est “dissociée”. Lorsque les violences sont répétées, la victime peut se retrouver en état de dissociation chronique. C’est ainsi par exemple qu’elle racontera les violences subies sans aucune émotion. J’ai eu l’occasion d’expliquer à une patiente ce phénomène. Elle me disait : « c’est vrai, quand je vous raconte ça [les coups de son mari], je ressens rien, c’est comme si c’était quelqu’un d’autre, alors que je sais que je suis quelqu’un de sensible pourtant ». Ce phénomène de dissociation est un mécanisme de défense.
Mais il a des inconvénients majeurs :
par cette déconnexion et cette absence d’émotion, il empêche la victime d’accéder à la réalité et à la gravité de ce qu’elle vit. Cette même patiente me racontait des situations dans lesquelles elle était clairement en danger et me disait : « mais c’est pas grave, je sais que ça peut avoir l’air grave mais moi j’ai l’impression que c’est pas grave». Cette dissociation prive la victime de ses capacités émotionnelles, l’empêche de s’opposer ou de fuir, et augmente son seuil de tolérance à la douleur, ce qui explique les phénomènes d’emprise, et désoriente les personnes qui sont en contact avec la victime [3]. Ce qui constitue de facto un frein à l’action.
cette dissociation, en déconnectant le circuit normal du traitement d’une situation stressante par le cerveau, empêche son analyse. Une mémoire traumatique s’installe : l’événement stressant pourra être revécu – à l’identique, donc avec le même effet sidérant du cortex – même des années après. [2]
paradoxalement, les victimes dissociées-anesthésiées se sentent très mal en quittant leur compagnon violent : en général, la dissociation s’atténue ou disparaît lorsqu’elles s’éloignent ; la violence de tout ce qu’elles ont subi surgit alors : “La victime peut soudain être confrontée à un véritable tsunami d’émotions et d’images terrifiantes qui vont déferler en elle, accompagnées d’une grande souffrance et une grande détresse, le plus souvent sous la forme de fragments de scène, de flashbacks (images, sons, odeurs, sensations), de reviviscences d’émotions et d’éprouvés sensori-moteurs (impression de tomber, de recevoir des coups, d’être touchée, attrapée, etc.), de cauchemars, accompagnés des mêmes sensations de mort imminente ce qui entraîne des attaques de panique terrifiantes“ [1]. C’est parfois tellement insupportable que certaines d’entres elles retournent auprès de leur bourreau, auprès de celui qui va pouvoir les sidérer en un regard, rallumer la mémoire traumatique, et ainsi les remettre dans cet état de dissociation. [3]
finalement, et tristement plus “confortable” pour les victimes, cette dissociation peut être perçue comme une protection efficace. Mais elle est évidemment un signe de gravité concernant le psychotraumatisme. Les violences répétées, au-delà de toutes les conséquences psychiques et physiques qu’elles entraînent, causent des dégâts neurologiques visibles à l’IRM.
Le phénomène d’emprise
Il décrit une relation de domination/soumission, lorsqu’un des partenaires est considéré par l’autre comme un objet, ses désirs et ses besoins propres étant niés. L’emprise commence souvent par une phase de séduction (“on est fait l’un pour l’autre”), marquant les débuts d’une relation fusionnelle, d’un amour idéalisé qui prépare la soumission. Surviennent ensuite manipulation, violence, domination, par divers procédés : isolement, inversion de culpabilité, confusion, déstabilisation. Cela entraîne chez la victime une baisse de capacité critique, un épuisement psychique, un doute sur ses propres ressentis, un sentiment de vide, rendant l’action extrêmement difficile.
Le cycle de la violence [13] [20]
La violence conjugale se développe à travers des cycles. Les périodes de tension et les phases d’explosions violentes se succèdent, entrecoupées par des phases de “lune de miel” durant lesquelles l’agresseur minimise, rend la victime responsable, justifie son comportement, et promet de ne plus recommencer. Plus le cycle se répète, plus l’emprise est forte et plus courtes sont les lunes de miel.
L’aspect inégalitaire des violences
Le risque de subir des violences quand on est une femme est largement plus élevé que quand on est un homme, par exemple. Même si les violences touchent tous les milieux sociaux, les femmes pauvres sont en proportion plus touchées. On a plus de chances d’aller consulter un médecin, un psy, d’aller porter plainte, de faire confiance aux institutions dans certains milieux que dans d’autres. Adulte, une personne a plus de chances de subir de la violence quand elle a été exposée à des violences étant enfant, directement ou indirectement (témoin de violence entre les parents par exemple), ou si elle a été exposée à des violences précédemment dans sa vie d’adulte et en l’absence de prise en charge psychologique . Le risque est grand qu’elles deviennent des victimes de choix pour des agresseurs à l’affût. Plus l’interlocuteur est dangereux, plus il réveillera la mémoire traumatique de la victime qu’il s’est choisie par des attitudes et des paroles déplacées ou incongrues, par une mise en scène de domination, et plus il générera ainsi une dissociation chez elle, et la mettra dans un état hypnoïde qui la rendra incapable de penser, de se défendre, sous emprise. Elle sera « en panne », embrouillée, totalement confuse et donc très vulnérable. Cet état d’incapacité, la victime le pensera dû à sa stupidité, à son infériorité ou à sa timidité maladive, alors qu’il est directement lié au déclenchement de mécanismes de sauvegarde face au danger que représente l’interlocuteur. Mécanismes qui pourraient être une bonne sonnette d’alarme, si la victime en était informée. Mais au lieu de cela, cette situation de danger sera interprétée à l’avantage de l’interlocuteur pervers.” [4] Cela explique notamment les phénomènes de revictimisation (le fait d’être agressée une seconde fois). Ainsi, estimer qu’on est “responsable” de ce que l’on vit, ce serait oublier un peu vite qu’on ne part pas tous avec les mêmes chances dans la vie. Ce serait aussi exclure la dimension politique et sociale et collective de ce sujet, pour ramener nos vies à une somme de choix individuels…
Les féminicides [11] [12]
Les femmes victimes de violences conjugales ont du mal à partir parce qu’elles ont peur que leur compagnon ne les tue, à juste titre. Trois féminicides sur quatre ont lieu pendant ou peu de temps après la séparation. On parle de crime de “propriété”. La depossession de la femme, considérée comme un objet, est très souvent le déclencheur du passage à l’acte.
En résumé, dire à une victime de violence conjugales “qu’elle n’a qu’à partir”, “que si elle reste, c’est que ça doit lui convenir”, c’est comme demander à une personne qui a une jambe cassée (et non plâtrée) pourquoi elle ne s’en va pas. Après tout, il lui suffit de se lever et de courir ! Ce n’est pas impossible, mais peut être que marcher avec sa jambe cassée lui fera si mal que rester assise dans le fauteuil sans bouger sera largement plus faisable. Si elle ose malgré tout se lever et faire quelques pas, elle aura peut-être si mal qu’elle préférera faire demi-tour et retourner s’asseoir. Maintenant, imaginons qu’à chaque fois que la jambe commence à guérir un bourreau vient la lui recasser…
Sur la pédocriminalité PAS CONSENTANTS, PAS RESPONSABLES
Un enfant est un être vulnérable et manipulable. Qui plus est par une personne qui est en position d’autorité. Il n’a ni le discernement ni la maturité psychoaffective nécessaires pour consentir de façon libre et éclairée à un acte sexuel avec un adulte ou un adolescent.
Il n’a pas les capacités émotionnelles d’être confronté à une sexualité adulte ou adolescente : il ne sait même pas ce dont il s’agit vraiment (et les agresseurs ont souvent bien soin de déguiser leurs agissements en soit disant “acte d’amour” ou de “tendresse”). Un enfant n’anticipe pas et ne maîtrise pas la réalité et l’impact émotionnel que les actes pédocriminels auront sur lui, sur sa santé et sur son développement. Il n’a pas la capacité de s’opposer à un adulte et de faire valoir sa volonté et ses droits. Il est dans une situation de pouvoir inégalitaire. Il est contraint physiquement et ou moralement. Il ne dispose pas de la maturité pour s’assurer de sa protection et de sa sécurité. Il ne sait pas comment prévenir les conséquences néfastes pour sa santé (maladies sexuellement transmissibles, risques de grossesse, impact sur l’estime de soi, respect de la dignité).
Compte tenu de tous ces aspects, une relation sexuelle entre un adulte et un enfant est par essence violente. Et en aucun cas l’enfant ne peut être tenu pour responsable d’un acte criminel qu’il subit. Avoir subi des violences sexuelles dans l’enfance et ne pas avoir été protégé ni avoir été pris en charge représente le premier facteur de risque de mort précoce, de suicide et tentatives de suicide, de dépressions à répétition, de troubles alimentaires, de conduites addictives (alcool, drogues), de mises en danger, de subir à nouveau des violences, de troubles cardio-vasculaires, pulmonaires, de diabète, de troubles immunitaires, gynéco-obstétricaux, digestifs, de cancers, etc. avec également de lourdes conséquences sur la vie professionnelle, affective et sexuelle. [5] [19] [20]
Les violences sexuelles : “Elle l’a bien cherché”
Ce qui revient le plus souvent autour de cette question de la responsabilité (et vérifié par un sondage Ipsos récent sur les représentations sexuelles des Français sur le viol, [6], c’est l’idée que si la victime avait une attitude provocante ou portait une tenue affriolante, alors la responsabilité du violeur serait atténuée. La victime serait en partie responsable du viol.
Les mythes autour du viol
Il existe de nombreux “mythes” autour du viol [7][14] [20]. Celui-ci pourrait s’appeler le mythe “Elle l’a bien cherché”. Il rejoint les autres mythes “les hommes ont des pulsions sexuelles incontrolables” et “le viol est un dérapage d’une situation de séduction, voire un malentendu”.
Ces mythes ont été étudiés par des sociologues et psychologues sociaux et peuvent se définir comme les « attitudes et croyances généralement fausses, mais répandues et persistantes, permettant de nier et de justifier l’agression sexuelle masculine contre les femmes » [8]. Ces préjugés sont partie intégrante de “la culture du viol” [15], c’est-à-dire ce système de représentations (dans les mentalités, les médias, l’éducation, la parole politique, les pubs, les films, les articles de journaux [9]) qui minimise, invisibilise les viols, et tend à humilier, culpabiliser, responsabiliser les victimes. La culture du viol inverse la culpabilité, la faisant peser sur les victimes. L’idée que les personnes qui subissent des viols sont les femmes provocantes habillées avec des mini jupes, est non seulement culpabilisante, mais fausse. Car les violeurs choisissent les personnes les plus vulnérables. Les personnes les plus concernées sont d’ailleurs les femmes en situation de handicap ! [10] Et les enfants !
Pour un article plus détaillé sur les mythes sur le viol, cliquez ici
Et la mini jupe ?
Et, quand bien même une femme se trémousserait en mini jupe, où se situe le lien de cause à effet avec un viol qu’elle subirait ensuite ? Dire que ce lien existe, c’est entretenir la culture du viol. Se trémousser en mini jupe, ce n’est pas interdit par la loi, le viol en revanche est un crime. Mettre en cause l’attitude ou l’habillement des femmes les enferme dans des restrictions de liberté inacceptables : ne pas s’habiller trop court, ne pas boire d’alcool, ne pas se promener seule, ne pas rentrer tard, ne pas danser en boite. Où se situe alors la limite ? S’habiller court ou avoir une attitude “séductrice” ne constitue pas un dû pour un acte sexuel non consenti. Un homme sain, face à une fille qui danse en mini jupe, ne la violera pas. Peut-être qu’il sera sexuellement excité, mais il ne la violera pas. Un homme sain face à une fille complètement saoule ne profitera pas de la situation. Il la mettra en sécurité.
J’ai souvent entendu : “Tout le monde sait qu’il y a des violeurs et les filles en mini jupe le savent très bien aussi, alors pourquoi provoquent-elles les mecs ??”. Eh bien déjà peut-être parce qu’elles en ont le droit. Mais surtout, cette question de l’habillement et du comportement est un faux problème. Car dans 80 à 90 % des cas, le violeur n’est pas un inconnu dans la rue, il est connu de la victime : il s’agit d’un ami, d’un collègue, d’un conjoint…[21] [22] Dans l’immense majorité des cas de viols, la victime n’était pas habillée court et n’était même pas en train de danser ! Les violeurs existent. Compte tenu des statistiques [23] [24] on peut même dire qu’ils sont nombreux. Et ils sont légitimés par la culture du viol dans laquelle nous vivons tous. Mais, continuer à tenir les victimes pour responsables (même en partie seulement) du viol qu’elles ont subi renforce cette culture du viol.
Deux choix s’offrent à nous :
continuer à tenir les victimes pour responsables, leur demander de s’adapter et de faire attention car “les violeurs sont là et qu’ils ne faut pas les exciter” ; et de facto entretenir la culture du viol.
décider une fois pour toute que jamais une victime ne pourra être tenue pour responsable, même en partie ; et casser définitivement la culture du viol, et par là même le cycle infernal des violences dans lequel sont enfermés aussi les agresseurs.
L’inversion de culpabilité proposée par l’option 1 est un mécanisme très puissant et très dangereux. Il participe à verrouiller le secret. Pourquoi irais-je dénoncer des violences si c’est en partie de ma faute ? L’option 1 sabote donc toute tentative de changement et dépolitise totalement le sujet des violences sexuelles
Tant qu’on pensera que les comportements violents sont en partie provoqués par les victimes, les comportements violents en tant que tels ne seront pas interrogés. Les violences continueront.
Le viol ne concerne pas la séduction, l’amour, la tendresse, la frustration sexuelle, le désir, la sexualité. Il ne peut être confondu avec une tentative de séduction qui dérape, un quiproquo, une incompréhension. Violer une personne, c’est se mettre du côté de la destruction et de la violence : l’autre devient un objet. Il ne s’agit plus de sexualité, ou d’amour. Le viol est reconnu comme étant une arme de guerre. Et les séquelles post traumatiques du viol sont comparables à celles repérées chez les victimes de torture. [20]
“Victime”, un gros mot ?
J’entends aussi parfois : “oui mais il faut arrêter de se victimiser / victimiser les personnes qui subissent des violences, ça ne les aide pas à s’en sortir”
Souvent, ces paroles partent d’un bon sentiment : l’empowerment, le développement personnel, accompagner la personne sur une voie où elle sera plus libre et actrice de sa vie. J’aime ce programme personnellement ! Mais attention aux glissements ! Attention aux mots employés ! Etre acteur/actrice de sa résilience, ce n’est pas la même chose que d’être responsable des violences qu’on a subies. Dire à une victime de violence qu’”elle est en partie responsable de ce qu’elle a subi” est une parole au pouvoir destructeur et déstructurant.
Les victimes de violences se sentent coupables et responsables de leur malheur, c’est le BA-ba en victimologie. En général, les victimes vont passer des années à se débattre avec cette culpabilité et se faire rabacher les oreilles des fameux mythes assénés par leur entourage et même par certains professionnels. Toutes ces personnes veulent bien faire évidemment, mais leur manque de connaissances en victimologie et en traumatologie rendent certains de leurs propos parfaitement délétères.
D’ailleurs, que veut dire “se victimiser” ? Se victimiser signifie pour une personne l’action de reconnaître qu’elle a été victime et qu’elle n’est pas responsable. C’est aussi un terme qui a son sens dans le contexte juridique. Lorsqu’un crime a lieu, il y a une victime et un agresseur. Victime, ce n’est pas un gros mot [18] (même si je comprends que certaines personnes préfèrent le terme de “survivant·e”).
Être reconnue comme victime permet de sortir de l’impuissance
Utiliser l’expression “se victimiser” ne condamne les victimes à l’inaction. Au contraire. Dans le cadre des violences (conjugales, sexuelles), l’inversion de responsabilité participe à la paralysie des victimes. Être reconnue comme victime, se reconnaître soi-même comme une victime, permet de sortir de l’impuissance en redonnant la responsabilité de la violence à celui qui l’a exercée et en reconnaissant la perte de pouvoir que cette violence a provoquée [13]. Reconnaître une personne comme une victime permet de lui expliquer les mécanismes de la mémoire traumatique, lui dire que ce qu’elle ressent est normal, que ce n’est pas de sa faute. Reconnaître une personne comme une victime permet de la rassurer en lui expliquant que les psychotraumatismes se traitent et qu’elle pourra aller mieux : voilà qui est plus aidant (et plus autonomisant) que de l’enjoindre à se pardonner pour le viol qu’elle a subi, ou de lui dire que “son âme a choisi de vivre tout ce qu’elle vit avant de s’incarner” (!).
Pourquoi faut-il arrêter de dire aux victimes de violences qu’elles sont responsables de ce qu’elles vivent ?
parce qu’elles se rétablissent moins bien. Les victimes de violences sexuelles qui subissent un grand nombre de commentaires négatifs (culpabilisation, minimisation) présentent davantage de symptômes de SSPT (Syndrome de Stress Post Traumatique). Les professionnels s’accordent à dire que les comportements des proches et leur présence ou absence de soutien est déterminant dans le pronostic suite à des violences) [17] [19].
par ailleurs, le fait de culpabiliser les victimes semble également favoriser la revictimisation (c’est-à-dire être de nouveau agressé), sans doute parce que les problèmes de santé mentale rendent les victimes plus vulnérables aux violences.
l’adhésion aux mythes sur le viol peut aussi générer chez certains acteurs du processus judiciaire un manque d’empathie à l’égard des victimes qui peut aller jusqu’à la violence verbale ou psychologique avec des questions culpabilisantes ou intrusives et des jugements dégradants. Il suffit de regarder le hashtag #doublepeine lancé en octobre 2021 qui relate la mauvaise prise en charge des victimes de violences sexuelles qui décrivent le processus judiciaire comme une seconde peine [16].
parce que cette croyance assure l’impunité des agresseurs et violeurs en inversant la responsabilité. Qu’est ce qu’on peut faire ?
s’informer et se former sur les mécanismes des violences;prendre conscience des mythes et stéréotypes qui perdurent concernant les violences
avoir un accueil et une écoute des victimes empathiques et déculpabilisants, surveiller sa posture et son jugement ;si quelqu’un nous confie des violences subies, on peut lui dire “je te crois, ce n’est pas de ta faute, tu n’y es pour rien, la loi est de ton côté, je peux t’aider”.
rester vigilant quant à ses bonnes intentions, et prendre un peu de recul face aux injonctions néolibérales méritocratiques du style “quand on veut on peut” ;
garder un esprit critique face aux suggestions séduisantes largement partagées dans la sphère du développement personnel de possibilités individuelles infinies. Sans vouloir tomber dans le déterminisme et la fatalité, ces discours peuvent aussi dépolitiser le sujet des violences en le ramenant à “tous responsables et chacun pour soi à chercher des solutions dans son intérieur”.
SOURCES
Les sources citées dans le texte
[1] https://www.memoiretraumatique.org/…/dissociation…
[2] http://stopauxviolences.blogspot.com/…/dernier-article…
[3] Salmona, Muriel. Le livre noir des violences sexuelles – 2e éd. (Hors Collection) (French Edition) (p. 99). Dunod.
[4] Salmona, Muriel. Le livre noir des violences sexuelles – 2e éd. (Hors Collection) (French Edition) (p. 105). Dunod.
[5] https://www.fondation-enfance.org/…/memoire-traumatique…
[6] https://www.ipsos.com/…/les-francais-et-les…
[7] https://antisexisme.net/…/mythes-sur-les-viols-partie…/
[8] (en) Kimberly A. Lonsway (Ph.D.) et Louise F. Fitzgerald. Rape Myths. In Review. Psychology of Women Quarterly, vol. 18, Urbana–Champaign, University of Illinois, Department of Psychology, juin 1994 (réimpr. numérisation et publication en ligne le 28 juillet 2006), 2e éd., First draft received: February 2, 1993. Final draft received: December 9, 1993 (DOI j.1471-6402.1994.tb00448.x), chap. 2, p. 133–164
[9] https://antisexisme.net/…/les-mythes-sur-le-viol-dans…/
[10] https://www.senat.fr/rap/r19-014/r19-014-syn.pdf
[11] https://arretonslesviolences.gouv.fr/…/Lettre%20n%C2…
[12] https://www.huffingtonpost.fr/…/derriere-chaque…
[13] https://www.erudit.org/…/2011-v17-n1-ref1812734/1005238ar/
[14] https://www.violencessexuelles.be/mythes-au-sujet-des…
[15] En finir avec le culture du viol – Noémie Renard
[16] https://www.franceinter.fr/…/sur-le-site-doublepeine…
[17] https://www.inspq.qc.ca/agression…/comprendre/consequences
[18] https://www.cvfe.be/…/54-a-propos-de-l-usage-du-mot…
[19] https://www.youtube.com/watch?v=FHE1_HhTvjE
[20] 40 questions réponses sur les violences sexuelles – Muriel Salmona
[21] https://www.assemblee-nationale.fr/…/l15b0721_rapport…
[22] https://www.lemonde.fr/…/viols-plus-de-neuf-victimes…
[23] https://www.noustoutes.org/…/Dossier_complet…
[24] https://arretonslesviolences.gouv.fr/…/chiffres-de…
Sources hors citation
Ouvrages de référence
Le livre noir des violences sexuelles – Muriel Salmona
40 questions réponses sur les violences sexuelles – Muriel Salmona
En finir avec les violences sexistes et sexuelles – Caroline De Haas
En finir avec la culture du viol – Noémie Renard
Sites et articles en ligne
https://www.memoiretraumatique.org/https://cfcv.asso.fr/
Vidéos
le consentement à la tasse de thé :https://www.youtube.com/watch?v=S-50iVx_yxU
Sur le viol
https://www.arte.tv/…/09276…/le-viol-un-crime-invisible/https://www.youtube.com/watch?v=V6S0Z7hLOREhttps://www.youtube.com/watch?v=FHE1_HhTvjE (agressions sexuelles sur mineurs)
Sur la culture du viol :
https://www.youtube.com/watch?v=pPH2GEB7-X0https://www.youtube.com/watch?v=1s4Cog81i2Ihttps://www.youtube.com/watch?v=zG5uFOozc90https://www.arte.tv/fr/videos/088128-003-A/kreatur-n-7/https://www.youtube.com/watch?v=BYwj9oP5ew0
Sur la violence conjugale
https://www.arte.tv/…/violences-conjugales-ces…/
Sur les violences à l’égard des femmes ou en général
https://www.arte.tv/…/violences-1-femme-sur-3-victime…/https://arretonslesviolences.gouv.fr/…/les-paroles-d…
Outils de formation
https://arretonslesviolences.gouv.fr/je…/telechargements
Podcasts
https://www.franceculture.fr/…/violences-faites-aux… (43 min)
https://www.franceculture.fr/…/feminicides-comment… (7 min)
https://www.franceculture.fr/…/comment-soigner-les…https://www.leseclaireuses.com/…/je-te-crois-le-podcast…
(série podcast sur les violences conjugales)
https://metadechoc.fr/…/sexualite-un-monde-de-croyances/https://www.binge.audio/podcast/les-couilles-sur-la-table
BD sur la culture du viol
https://www.huffingtonpost.fr/…/la-culture-du-viol…/
Tedx sur le viol
https://www.youtube.com/watch?v=V6S0Z7hLORE
Plaidoyer sur les mythes autour du viol
Excellent article, très intéressant, indéniablement utile, et très sourcé
Merci Maud pour ce très bel article ! Utile, clair et éclairant. Bravo !